Entretien entre Jon Fosse et Gabriel Dufay
ÉTINCELLES
PIÈCES COURTES de Jon FosseMise en scène Gabriel Dufay
DU 18 SEPT au 2 NOV 2025 au Studio-Théâtre
Jon Fosse. Il y a plusieurs mots pour décrire ce phénomène en norvégien. Et dans les autres langues aussi. En français, j’imagine. Étincelle. Scintillement. Fulgurance. Illumination. Épiphanie… Je relie ce mot – « étincelle » – à l’écriture de Maître Eckhart, qui fut tellement importante pour moi et à la notion de lumière intérieure. Dans la tradition chrétienne, on retrouve également beaucoup ce mot. C’est vrai que j’y suis attaché, je recherche ces étincelles. Il y a une forme de lumière que je cherche par-dessus tout en écrivant – même si le fond de mon propos peut sembler noir. Je pense que c’est un très bon titre pour ce spectacle. À ce propos, c’est la première fois que mes pièces courtes sont réunies ainsi. C’est un événement !
J.F. Je ne suis pas sûr de me souvenir ! La plupart de mes pièces ont été écrites en réponse à des commandes. Mais parfois, j’écris aussi parce que j’en ai la nécessité. Cela arrive, c’est tout ! Les pièces que j’ai écrites m’échappent.
J.F. C’est un théâtre d’Oslo qui m’a commandé cette pièce en 2006, en lien avec Ibsen, en résonance avec ses réflexions sur la liberté individuelle. Je n’aime pas beaucoup Ibsen. Il donne trop de leçons et il laisse souvent les puissances des ténèbres triompher. J’ai voulu créer l’opposé de ce qu’écrit Ibsen sur cette thématique de la liberté, que l’on retrouve dans nombre de ses pièces… Ibsen parle toujours de liberté, mais ça me semble faux. Nous sommes tous liés les uns aux autres, dépendants les uns des autres ; la liberté n’existe pas en un certain sens.
J.F. Oui, bien sûr. Après, je n’appelle pas cela nouvelles ou histoires courtes, mais prose brève... En Norvège, on a ce concept de la novelle : c’est une courte fiction, plus longue qu’une nouvelle, mais plus courte qu’un roman.Les novelles ont des structures spécifiques, elles sont vraiment entre les nouvelles et les romans. Et j’aime particulièrement ce qui est entre. Je dis souvent que j’écris de la prose brève. J’ai appliqué ce concept pour le théâtre. Mais les frontières sont poreuses
J.F. Je ne coupe pas beaucoup. Je sais quand je dois m’arrêter. Si ça doit être court, c’est court. Si ça doit être long, c’est long. Je me souviens aussi de la genèse de Vivre dans le secret. La commande m’avait été faite par Thomas Ostermeier et il fallait écrire des textes courts sur le fait de vivre exposé, sur le désir d’être vu, d’être un personnage public... Et j’ai fait encore une fois le contraire de ce qu’on me demandait. J’ai écrit ce petit texte sur un homme qui ne veut pas être vu, qui veut « vivre dans le secret »
J.F. En un certain sens, tout ce que j’ai écrit s’apparente à de la poésie. Dans la forme et dans la manière dont j’appréhende l’écriture. Vivre dans le secret est plus un poème qu’une pièce réaliste ou traditionnelle. Mais c’est la même chose pour mes autres pièces, et pour mes romans. Je ne suis pas dans l’écriture traditionnelle.
J.F. Bien sûr. Tout est lié. Tout est relié. Vous avez raison. Et c’était déjà le cas quand j’étais jeune. Beaucoup de poèmes que j’ai écrits à cette époque contenaient déjà ce que j’allais explorer plus tard dans mes romans ou mes pièces. Tout était déjà là, concentré dans ces poèmes, de manière étrange. Mais je n’écris pas tant de poésie que ça. Seulement, quand ça survient. Chaque poème est une surprise. Je n’écris jamais de poème intentionnellement. Après, il y a ces visions. Tout provient souvent de visions.
J.F. Non. Normalement, je ne fais qu’écrire ; j’écris et ça vient… Ou plutôt, disons que ça arrive, comme je préfère le dire. Ça arrive, ça survient, et j’en suis le premier surpris. Si j’essaie d’écrire comme ci ou comme ça, je sens que je vais écrire mal. On peut sentir l’intention, l’idée, en un certain sens. Et l’écriture, la bonne écriture n’a rien à voir avec les idées. Les idées sont intéressantes, peuvent être justes, profondes... Mais l’écriture, c’est autre chose. Et puis, je dois avoir ce sentiment d’apporter au monde quelque chose qui n’était pas là avant, non de répéter quelque chose que j’ai l’habitude de faire. Et je sens que si l’on planifie trop ou si l’on prévoit trop ce qui va se passer, alors, ça se ressent après, à la lecture et du coup, c’est mort. C’est un principe pour moi. Cela doit survenir, arriver. Quand j’écris bien, ou même très bien, cela s’écrit tout seul. Je n’ai pas à intervenir…
J.F. La forme est très importante pour moi. Il y a ce mot allemand qui décrit bien ce que je recherche : stimmigkeit. La cohérence, la justesse de l’équilibre entre le fond et la forme. Tout doit être à sa place. En même temps, la logique de chaque texte est différente en soi. Et chaque logique a son rythme. J’ai un sentiment très précis de là où je dois continuer, là où je dois ajouter une virgule dans une fiction. Et quand je commence à écrire, c’est comme si après quelques pages, la logique était déjà établie, la plupart des choses sont déjà décidées, et on s’en rend compte après. Comme si tout était déjà écrit. En un sens, vous n’avez qu’à suivre le cours des choses. C’est un processus quasiment autistique, je dirais. Le sentiment de la forme doit être complètement juste. Bien sûr, il y a aussi une histoire de rythme, de musique, de changement de perspective : beaucoup d’éléments à faire tenir ensemble. Et en même temps, je tâche de me débarrasser de moi-même. Je pénètre dans un autre univers, je ne suis plus à la barre, je ne dirige pas le texte que j’écris. Quelque chose d’autre dirige. Le texte s’écrit de lui-même.
J.F. Oui, c’est un mystère. Telle est pour moi l’écriture. D’un certain côté, l’histoire que je raconte, avec la forme employée, est déjà là. Je n’ai qu’à la retranscrire. J’agis comme un scribe. Il faut que j’écrive, avant que ça disparaisse. Mais avant que je l’écrive, c’est là. La logique est là. Je dois suivre le fil. Je n’ai qu’à écrire le texte qui m’attend, en un sens.
J.F. C’est vrai. J’ai l’habitude de dire qu’écrire, c’est rêver de manière consciente – même si c’est un peu réducteur. Ce n’est pas exactement ça, bien sûr, mais il y a quelque chose de cela. Quand on rêve, quand on dort, on ne dirige pas vos rêves, quelque chose d’autre dirige. On suit la logique de la surréalité, la forme prédomine. Les rêves ne sont pas tous fascinants mais ils ont une forme singulière. Et c’est pareil pour l’écriture. Après, l’écriture est reliée à l’état de veille et même à la notion de responsabilité. Si l’on crée une forme, on a une responsabilité. On doit en être conscient.
J.F. L’image est magnifique. C’est ce que j’ai appelé le langage silencieux. Il y a le langage écrit dans les pièces, sur le papier, mais ce n’est pas ce langage qui importe le plus – pour moi en tout cas. Le plus important, c’est ce langage silencieux, ce qui n’est pas écrit, ce qui est écrit entre les lignes, ce qui s’écrit dans ou par le silence.
J.F. Écrire, créer, c’est disparaître ! Et c’est ce que j’aime autant dans le processus de l’écriture : disparaître, me débarrasser de moi-même, ne plus être présent.
J.F. C’est exactement ça ! Beaucoup de gens ont peur de l’invisible, de ce qu’ils ne peuvent pas comprendre, pas expliquer. Pas moi. C’est même tout ce qui m’obsède : tous ces liens avec l’invisible. Les gens ont besoin de tout contrôler, ils peuvent contrôler les choses visibles et rationnelles, mais il y a toutes ces choses invisibles qui agissent sur nous, qui nous font agir l’air de rien. Et il est très difficile d’en parler.
J.F. Le langage est insuffisant. C’est la tâche de l’écrivain, en un sens, de dire ce que les mots ne peuvent pas dire. Et c’est la tâche du metteur en scène et de l’acteur de faire entendre le langage silencieux, ce qu’il y a en dessous des mots. Même si c’est impossible. Essayer de dire l’indicible, de faire voir l’invisible.
Juillet 2025
Photos de répétitions © Vincent Pontet
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